Dans le rhum, comme dans toute chose dans la vie, quand on débute on ne connait pas ses propres goûts. Du coup on goûte ceci, on goûte cela, on aime ceci, on n’aime pas cela. De temps en temps on tombe sur un truc imbuvable, d’autres fois sur une pépite qu’on n’avait pas vu venir. C’est ce qu’on appelle l’éducation et l’expérience. Et avec celle-ci on commence à affiner ses goûts et à savoir ce qu’on à envie de retrouver ou pas dans une dégustation. Et forcément, plus le panel de choses goûtées est large, plus l’image qu’on se fait de ses propres goûts est fine et définie. Dans mon cas il est apparu très tôt que j’aimais les rhums jamaïcains. Ayant été baigné par le Grand Arôme Savanna, c’était presque une évidence. À partir de là, Hampden a été une autre évidence, avec ses profils parfois très lourds, fruités et pourtant si puissants. Et là aussi, en en goûtant plusieurs, une dernière évidence s’est détachée du lot, le mark <>H (prononcer « Diamond H »), évidence grandement facilitée par le <>H 2010 Velier Khong. Du coup aujourd’hui, on va se concentrer sur celui-ci 🙂
Petit retour théorique: ce qu’on appelle les marks, selon qu’on soit au Guyana ou en Jamaïque, sont deux choses complètement différentes. Aujourd’hui on va se concentrer sur la Jamaïque donc. Historiquement les marks ont été créé en Jamaïque pour classer les rhums en catégorie afin de faciliter leur vente. En effet, la Jamaïque vendait une très grande majorité de ses productions à l’export et les importateurs avaient besoin de savoir quel « genre » de rhum ils achetaient, selon ce qu’ils voulaient en faire. Sont ainsi nés d’un côté les catégories « nationales » (Common Clean, Plummers, Wedderburn et Continental Flavoured, du plus léger au plus chargé) et d’un autre les marks propres aux distilleries. À chaque mark correspond sa fourchette de concentration en esters, liée à la charge aromatique du rhum.
Chez Hampden, l’échelle des marks va de 40 g/hlpa (OWH) à 1600 g/hlpa (DOK). Celui dont nous parlons aujourd’hui, <>H, correspondant à une concentration de 900 à 1000 g/hlpa, soit quelque chose entre la moitié et les deux tiers de la concentration maximum autorisée. Attention, pour rappel, il s’agit là de la concentration en esters à la sortie de l’alambic (!), pas de la concentration dans la bouteille. En effet, qu’il s’agisse d’un rhum vieilli de longues années ou même d’un rhum blanc ayant reposé en cuve, la réaction d’estérification n’est jamais figée et la concentration évoluera systématiquement et ce sans qu’on sache prévoir dans quel sens. D’où, sur certaines bouteilles la présence d’une concentration qui ne correspond pas toujours au mark, il s’agit alors (le plus souvent) de la concentration à la mise en bouteille .

Habitation Velier <>H blanc – 66%
Première bouteille dont nous allons parler, il s’agit du rare exemple de rhum blanc Hampden embouteillé sous un seul mark. Cet embouteillage a été fait par Velier (sous sa gamme Habitation Velier), à l’occasion du Whisky Live Paris de 2018. Ici la concentration est (forcément) dans la gamme du mark puisque la bouteille arbore un titre de 960 g/hlpa d’esters, pour une concentration alcoolique presque diabolique de 66%. Sortie à l’époque en très peu d’exemplaires, elle s’est arrachée et est devenue presque impossible à trouver aujourd’hui, ou alors à des tarifs hallucinants pour une bouteille sortie à 59€. La rareté fait le prix malheureusement.

Nez
Les rhums jamaïcains blancs ne sont pas toujours faciles à appréhender, spécialement quand ils sont « chargés » en esters. Pourtant celui-ci est étonnement facile d’accès passé ses 66 « petits » degrés. Le profil est gourmand, avec de l’ananas frais juste à point, qui cohabite avec une belle brioche beurrée. De jolies notes de pêche et d’abricot viennent enrichir le profil alors qu’une toute légère note d’olive est présente également.
Bouche
Forcément sur la langue le titre alcoolique fait que le contact est chaud. Néanmoins la continuité est de mise avec le profil olfactif: les notes sont pâtissières et l’ananas n’est ici plus frais mais rôti au beurre. L’ensemble est de nouveau bien fruité avec quelque notes de solvants qui finissent par tout de même apparaître mais sans être omniprésentes. La longueur fait ressortir l’olive perçue au nez.
Habitation Velier <>H 2016 – 62%
Dernier né de la famille, du moins du côté de Velier, nous restons dans la gamme Habitation Velier avec ce rhum distillé en 2016. Embouteillé en 2021, il a donc passé 5 ans en fût sous les tropiques. Pas de concentration en esters sur l’étiquette mais une concentration en « congeners » qui ne peut pas être reliée au taux d’esters, les congénères reprenant certes les esters, mais également tous les autres composés qui ne sont pas de l’éthanol. Autant dire que ça peut être très large (d’où un taux de 2472 g/hlpa). Cette bouteille est sortie au printemps 2021 et elle présente un titre alcoolique de 62%. Son prix de sortie (109€) a marqué les esprits puisqu’on ne parle que d’un rhum de 5 ans d’une distillerie sortant des volumes énormes encore aujourd’hui.

Nez
À l’ouverture le nez est très fruité et pas mal expressif. L’ananas est frais et gourmand, teinté de notes d’olives et de vanille. Avec l’aération il se fait plus pâtissier, l’ananas devenant biscotte, la vanille devenant brioche. Le tout se mélange de façon homogène, le pâtissier ne venant pas écraser le reste. L’ensemble forme un nez très agréable, tout en gourmandise et avec ce qu’il faut de fraîcheur pour l’apprécier.
Bouche
Dans la continuité du nez, on a un profil aromatique fruité et pâtissier (rien de surprenant donc). Le pâtissier (toujours entre la biscotte et la brioche) prend néanmoins plus le dessus sur l’ananas. L’olive reste en revanche présente, peut-être même un peu plus qu’au nez, et elle s’accompagne d’un joli boisé, présent mais discret. Ce n’est pas un rhum très complexe mais il est néanmoins très agréable.
Swell de Spirits <>H 2011 – 67,4%
Deuxième embouteillage de cette jeune marque bordelaise dont nous avons déjà parlé ici et ici, il s’agit cette fois-ci du premier rhum sorti sous la mention « Wonders of the world ». Commencer avec un Hampden, qui plus est avec un <>H, difficile de frapper plus fort pour faire une arrivée remarquée dans le milieu du rhum. Si en plus le rhum, distillé en 2011, a passé les deux tiers de sa vie en Jamaïque, voilà qui devrait nous procurer une dégustation plus qu’intéressante. Comme pour les autres embouteillages de la marque il s’agit d’une bouteille de 50cl, sortie à 324 exemplaires et contenant un rhum titrant à 67,4%. Dernière mention importante, le prix: la bouteille a été commercialisée au tarif de 90€ (126€ donc si on rapporte à 70cl). En 2021, c’est presque une performance de sortir un tel rhum à un prix aussi contenu!
Nez
Boum, ça dépote! Hyper expressif, ça sent dès la sortie de la bouteille. Un magnifique mélange très pâtissier (brioche beurrée, pain grillé), agrémenté de fruits exotiques (ananas en tête), de vanille et d’olives. L’alcool est intégré, il ne brûle pas malgré le titrage alcoolique assez haut. Le profil est gourmand à souhait, avec des notes sucrées de caramel qui viennent faciliter l’appréhension, le tout sur un lit de solvants sous-jacents, aucunement virulents mais toujours présents.
Bouche
Nettement moins de fruit en bouche, le pâtissier et l’olive eux restent bien présents. Le boisé est marqué mais pas excessif, une légère astringence sur la langue tout de même. Le profil est lourd, chargé, il y a du cuir, des notes empyreumatiques, même un peu de caoutchouc. À la première gorgée l’alcool se manifeste sur le bout de la langue mais sans excès. La longueur est nettement marquée par l’olive, avec quelques notes sucrées comme pour l’enrober.
Old Brothers <>H 2001 – 61,6%
Dernière étape du jour, direction Toulouse et l’embouteilleur Old Brothers. Là aussi l’embouteillage a fait du bruit à sa sortie, surtout pour son âge. En effet, la bouteille arbore un joli « 2001 » cachant un passé de 18 ans en Jamaïque! S’en est suivi une année et demie en Europe avant un embouteillage à un respectable 61,6%. Voilà qui, sur papier, fait rêver l’amateur que je suis. Évidemment, presque 20 ans de vieillissement, ça se paye: dans ce cas-ci la bouteille de 50cl (magnifique d’ailleurs) est sortie au tarif de 265€! Voyons voir si le ramage se rapporte au plumage 😉

Nez
Un magnifique boisé fruité nous accueille, plein de gourmandise. On ne tombe pas dans le cliché du « tout-ananas Hampden », les fruits sont mélangés dans une compotée exotique avec du fruit de la passion, de la goyave et de la mangue pour accompagner l’ananas précité. Les notes pâtissières enrichissent évidemment le profil mais elles restent en retrait derrière ce duo boisé/fruité.
Bouche
La première gorgée pourrait être un porte-étendard de ce que Hampden peut faire de mieux. Un mélange homogène de fruité exotique, de boisé, de pâtissier gourmand et d’olives pour un profil comme on les aime quand on aime cette distillerie. Les gorgées suivantes continuent sur le même fil rouge, aucun des intervenants ne tirant la couverture à lui-même en permanence. Le rhum évolue au fil de la gorgée et passe d’un arôme à l’autre. Il tapisse le palais longtemps, on est au-delà de la minute pour un mélange de mangue et d’olive très agréable.
Conclusion
Alors certes le mark ne fait pas tout, il ne faut donc pas tirer de conclusion hâtive de cet article et se dire que forcément tous les <>H sont merveilleux. La preuve le Samaroli/Cavavin sorti plus tôt dans l’année avait un profil bien plus végétal que ceux goûtés aujourd’hui, malgré des notes communes. Je peux malgré tout en tirer une ligne directrice (pour mes goûts personnels) qui fait que la combinaison du mark <>H et du vieillissement tropical est souvent gage de réussite. Bien entendu rien ne remplacera la dégustation avant achat mais ce n’est pas toujours possible donc il est important, dans le monde du rhum contemporain, d’avoir bien en tête ses propres goûts au risque de se laisser emporter par la mode et de le regretter par après 😉

Retrouvez ces rhums sur l’application RumX par ici: Hampden <>H blanc, Hampden 2016 <>H, Swell de Spirits <>H, Old Brothers <>H