Plantation Rum… s’il y a bien une marque que chaque amateur de rhum a croisé dans sa vie c’est bien celle-ci. Leur gamme est tellement large qu’elle peut toucher tous les amateurs, du pur débutant au dégustateur expert. Quoi de plus logique donc que de leur consacrer une soirée complète? Et si en plus cette soirée peut se muer en masterclass avec Matthieu Gouze, directeur commercial de la marque, pourquoi se priver? Alors plongeons ensemble dans l’univers Plantation!
Difficile de résumer ce que représente Plantation, du coup je vous renvoie (comme un paresseux) vers leur site qui reprend l’histoire de la marque en détails.
Mais il faut retenir, pour l’essentiel, que la marque appartient au groupe Ferrand, qui à la base fait du Cognac, mais qui possède également d’une part la distillerie West Indies Rum Distillery (à la Barbade), et d’autre part un tiers de National Rum of Jamaica, propriétaire des distilleries Clarendon et Long Pond.
Le programme sera complet si l’on rajoute les gins Citadelle, ainsi qu’un patron bouillonnant de nouvelles idées (Alexandre Gabriel pour ceux qui ne le connaissent pas), des chais énormes et des milliers de fûts d’origine et de composition différentes… Voilà un mélange détonnant!

Malgré tout il faut bien se limiter, et Plantation a tout de même ses marques de fabrique.
La première et la plus connue c’est leur « double vieillissement »: chaque rhum, d’où qu’il vienne et quel qu’ait été son contenant précédent, passe un minimum de temps dans un fût ex-Cognac. Il en résulte une Plantation-touch, un profil original, une identité.
Anciennement ce double vieillissement apportait systématiquement sa quantité de sucre (on parle de « dosage »). Mais depuis quelques années la marque a bien compris le besoin de transparence et d’authenticité du marché. Depuis le dosage est mentionné sur la bouteille s’il y en a, et de plus en plus de références sortent sans le moindre ajout de sucre.

Bien entendu, même si la marque embouteille presque tous les profils, ses propriétés dans certaines distilleries ont fait que celles-ci sont sur-représentées au catalogue. Les rhums des distilleries WIRD, Long Pond et Clarendon sont par exemples très fréquents dans les chais. Qui plus est, la soif de nouveauté d’Alexandre Gabriel le pousse, notamment dans la distillerie WIRD, à essayer d’anciennes méthodes ou d’anciens alambics, tels le désormais connu Vulcain, un ancien alambic à chambre autrefois abandonné et désormais réhabilité.
On peut également citer des vieillissements « expérimentaux », soit via un bois inhabituel (Amburana, châtaigner, etc), soit via des fûts panachés (construits avec des douelles de 2 bois différents), soit via des contenant de nouvelles formes (tels les « œufs » utilisés pour le vieillissement des gins Citadelle…entre autres).

Mais trêve de bavardages, il est temps de passer aux dégustations de la soirée. Au programme, deux types de dégustations: les bouteilles commerciales et les « exclusivités » 😉 Niveau bouteilles commerciales, après avoir dégusté le Peru 2006 lors de la dernière soirée, nous nous penchons cette fois sur l’intégralité du reste de la gamme Vintage qui célèbre le programme « quatre mains » de la marque, à savoir l’union d’Alexandre Gabriel avec une personne marquante pour chaque bouteille.
Dernière information, les notes de dégustation ci-dessous sont le résultat de la mise en commun des notes de Cédric L, de Thomas ,et des miennes, Cédric Sip.

1 – Barbados 2011 vintage – 51,1%
Commençons donc avec ce rhum issu justement de la West Indies Rum Distillery (WIRD). Il est issu de l’assemblage de 24 fûts, sélectionnés avec Don Benn. Le rhum a été distillé en 2011 pour partie en colonne et pour partie dans l’alambic Gregg’s Farm (double distillation). Il a vieilli 4,5 ans sur place avant de passer 4,5 ans de plus en fût de chêne français à Cognac. Mentionnons encore que le dosage est nul sur cet embouteillage, 0 g/litre 😉

Nez
Est-ce dû à sa jeunesse ou à son intégration, toujours est-il que ce rhum demande un peu d’aération avant de s’y plonger. Les marqueurs principaux sont ceux finalement attendus pour un rhum de la Barbade, du coco, de la vanille et des épices. Difficile d’y trouver autre chose, le boisé est discret, le fruité encore plus (à part le coco). Il en résulte un côté pâtissier légèrement poivré et vineux.
Bouche
De nouveau le premier contact est un peu raide, la bouche est sèche et vive. Passé cette première gorgée il s’arrondit et les arômes du nez reviennent, accompagnés par un boisé plus présent. Une légère sucrosité relève le coco qui s’accompagne de notes de zest d’orange, de chocolat noir et de toffee. Quelques volutes de fumées viennent compléter l’ensemble.
En résumé un rhum relativement accessible mais à qui il faut laisser quelques minutes après le service pour en profiter.
2 – Trinidad 2009 vintage – 51,8%
Cap au sud ensuite, direction l’île de Trinidad pour un rhum de chez Trinidad Distillers Limited (TDL), distillerie derrière (notamment) les rhums Angostura. Cet assemblage a été réalisé avec Andrew Hassell, de la distillerie WIRD.
Il résulte de l’assemblage de 24 fûts de rhum distillé en 2009, qui ont vieilli 11 ans en fût de Bourbon sur place pour ensuite passer un an en fût de Cognac dans les chais Plantation. Un dosage toujours à 0 g/l et une distillation en quadruple colonne viennent compléter les informations utiles.

Nez
Ici le profil est nettement plus riche. Les fruits sont bien présents, avec de la pêche, des fruits rouges et de l’ananas. Les épices se taillent une belle part aussi avec du bois de Santal, de la muscade, du gingembre (confit), du camphre, de la fève Tonka et bien entendu de la vanille. Le boisé est présent mais reste à sa place, accompagné de cuir, de fumée/empyreumatique et de notes de pain grillé, le tout enrobé dans un caramel relativement présent.
Bouche
Dans la suite logique du nez les notes plus lourdes se mettent en valeur. Le fruité reste présent mais moins « étincellant », plus sur la prune et les fruits cuits, moins sur les fruits frais. Le boisé fait un petit pas en avant, se parant de notes tantôt végétales, presque mentholées, tantôt cireuses. Le côté fumé / grillé reste présent aussi, rendant ce profil plus chargé qu’attendu au nez, le rendant plus complexe aussi.
Voilà un rhum qui aura conquis son public, coup de coeur de Cédric L, il représente un bel exemple du savoir faire de la distillerie TDL et sans nul doute un bon achat pour l’amateur en quête de plaisir.
3 – Jamaica 2003 vintage – 49,5%
On continue avec un détour par la Jamaïque, plus précisément chez Clarendon.
Cette fois-ci il s’agit d’un assemblage de 29 fûts réalisé avec Luc Satgé, gardien des chais Plantation.
Le rhum a été distillé en 2003 donc et vieilli 16 ans sur place avant de passer 1 an en Charente. L’étiquette nous informe d’un dosage à 0 g/l à nouveau et arbore le mark « MMW », synonyme d’un titre en esters entre 200 et 300 g/hlpa lors de la distillation.
On a déjà vu que le titre d’esters (et de composés volatiles d’ailleurs) évoluait au cours du vieillissement, résultat un titre en esters de 422g/hlpa à la mise en bouteille (et en composés volatiles de 1571 g/hlpa).

Nez
Pas de doute, on sait où on arrive immédiatement. Le nez est typique et très expressif, bourré de fruits mûrs et de solvant. L’ananas, la banane et une jolie fraicheur citronnée (entre le citron vert et le cédrat) rendent l’ensemble très gourmand. Le boisé est présent mais discret, il s’accompagne de tabac blond, de chocolat et de notes fumées. Très joli 🙂
Bouche
Le boisé prend de nouveau plus de place en bouche et repasse devant les fruits, même si ceux-ci restent bien présents. Les notes relevées restent les même qu’au nez, un mélange agréable de solvants de fruits mûrs, mais l’amande fait une entrée remarquée selon moi (Cédric Sip).
En résumé un très bon jamaïcain, à un tarif abordable, et aussi expressif que gourmand, que demander de plus comme « daily rum »?
4 – Fiji 2005 vintage – 50,2%
Quatrième dégustation, on quitte les Caraïbes direction les îles Fiji, pour une bouteille élaborée en collaboration avec Liam F. Costello.
L’assemblage est parti de 28 fûts, tous distillés en 2005. L’intégralité a été distillée dans la triple colonne de la distillerie Rum Co. of Fiji et a vieilli 14 ans en fûts de Bourbon sur place, additionnés d’un an en fût de Cognac chez Ferrand. Le dosage sur cet embouteillage est de 4g/l.

Nez
Voilà un profil beaucoup plus « consensuel » que le jamaïcain précédent. Ici le marqueur principal est ce caramel au beurre qu’on connaît tous. Celui-ci est teinté d’un boisé présent mais intégré, de vanille, du cacao et d’une pincée d’épices. Rayon fruits ils sont discrets au début, plus sur les fruits à chair blanche, avant d’évoluer vers les agrumes en général et le citron en particulier.
Bouche
Disparue la fraîcheur fruitée, le profil est plutôt boisé, nappé de vanille, de caramel, de café et de cacao. C’est doux et les notes de coco et d’ananas ne suffiront pas à l’enrichir côté fraîcheur. Il nappe la bouche et reste le temps d’une longueur presque correcte mais exprime finalement peu de choses supplémentaires.
On en attendait pas énormément de choses vu le profil 100% colonne et au final il est conforme à l’attendu, sympa mais sans plus. On aurait aimé voir du Pot Still dans l’assemblage pour relever ça…
5 – Australia 2007 vintage – 49,3%
Dernier arrêt de la série et dernière sortie en date aussi, direction l’Australie pour cet assemblage de 21 fûts issus de la distillerie Beenleigh dont nous avons parlé récemment.
Il s’agit là de rhum distillé en 2007 en pot still après une fermentation longue typique de la distillerie (12 jours). Il a séjourné 13 ans sur place en fût de Bourbon avant de terminer par un an en Charente en fût de chêne français. Toujours 0g/l de dosage pour cet embouteillage qui arbore un magnifique Cacatoès.

Nez
Est-ce l’influence de la finition « made in Ferrand » ou est-ce que ça vient du rhum de base, toujours est-il que le profil est très marqué « Cognac ». On y retrouve une belle part de raisin et un côté vineux indéniable dans le boisé. À côté de ça les marqueurs sont plus « rhumesques » avec du sucre cuit (barbapapa) qui vire au caramel, des notes tantôt florales, tantôt nettement empyreumatiques avec des effluves de caoutchouc (grillé même). Une pointe de solvant complète le profil non sans rappeler certains rhums du Guyana/Demarara.
Bouche
Sur le palais le profil cognaçais prend un peu de recul pour une sensation d’équilibre plus homogène. Le boisé est là, grillé même, mais il n’occulte pas les arômes plus légers de raisin (encore), de fleurs, de coco et même de bonbons fraise (pour Cédric L). La longueur est marquée par la réglisse même si elle se fait un peu courte.
En définitive un rhum agréable et intéressant mais qui manque un peu de relief, de gourmandise.
Les exclusivités
Passé cette collection de vintages, il est temps de se tourner vers les pépites que Matthieu nous a rapporté. Je vous le dis tout de suite, ces 3 bouteilles, prélevées directement des fûts, ne sont pas destinées à sortir tout de suite. Pas la peine de s’emballer donc, il fallait être là pour y goûter 😉
6 – Vulcain 2018 – 55%
Premier des trois, voici un rhum issu du fameux alambic Vulcain remis en service par l’équipe Plantation/WIRD. Cet ancien alambic, qui est un « alambic à chambre » c’est à dire une sorte de Pot Still mais permettant une distillation plus proche de la colonne, a été complètement ressorti du sommeil en 2018. Le premier véritable lot qui en est sorti a été mis en vieillissement dans les chais Plantation du côté de Cognac. Nous sommes donc face à un rhum qui a passé 3 ans en fût et que les plus chanceux d’entre nous avaient déjà pu goûter lors du Whisky Live 2018.
Nez
La première impression laissée est un profil frais. Il est nettement marqué par le végétal même s’il n’est pas dénué de gourmandise. Le bois est discret et l’alcool légèrement présent mais on a du coco et de l’ananas, relayés par la canne, des zestes d’agrumes (pamplemousse) et des parfums de fruits verts. On a aussi des notes de vanille, de fumée et de fermentation pour un profil très « verdure ».
Bouche
En bouche l’âge du rhum se ressent tout de suite. Le boisé l’a marqué, même plus que ce à quoi je m’attendais, mais il reste très « jeune » et végétal. Le fruité est très discret (à peine une pointe de citron), le côté pâtissier est plus présent déjà avec de la vanille, de l’amande et du sucre en cuisson, avant caramélisation. Quelques notes de foin et de fumée viennent ponctuer ce profil qui me semble au final encore trop « entre-deux », il n’a plus la fraîcheur de la jeunesse mais pas encore la rondeur du vieux.
Petit bonus: Vulcain blanc
Lors du Whisky Live 2019, nous avions, Cédric L Thomas et moi, assisté à une Master Class donnée par Alexandre Gabriel. Comme « surprise du chef », ce dernier nous avait glissé le premier distillat issu du-dit Vulcain. Ne me demandez pas pourquoi Cédric L en avait gardé un sample, toujours est-il qu’il s’est dit que la comparaison avec le même rhum vieilli pouvait être intéressante (et de fait).
Nez
D’entrée de jeux ce rhum rappelle à Cédric L les Clairins par son côté sauvage. Le profil est végétal, il y a du foin , de la réglisse et des notes de fermentations. On y trouve aussi des pointes de fruits (citron et fruits rouges). Une petite note métallique ressort également par moments.
Bouche
La trame végétale reste présente une fois en bouche, nettement dominée par la réglisse. Le citron est encore là, accompagné d’une note sucrée. La finale balance entre cette réglisse et une petite amertume qui n’est pas sans rappeler le pamplemousse.
On sent donc la filiation entre les deux, le passage en bois aura fait s’effacer ces notes de réglisses mais le profil végétal est lui bien resté. Nul doute que nous garderons à l’oeil l’évolution de ce rhum du Vulcain dans les années à venir 🙂

7 – Mount Gilboa 2007 – 62%
Mount Gilboa, voilà un nom qui commence à résonner chez ceux qui suivent le monde du rhum. Mais si souvenez-vous, on avait eu un Mount Gilboa 2008 sorti par Velier, ainsi que deux Last Ward qui étaient en fait eux aussi des Mount Gilboa. Derrière ce nom se cache la distillerie Mount Gay qui, suite à une sombre histoire de rachat de nom, a produit pendant quelques années du rhum sans pouvoir le commercialiser sous son propre nom. Le problème a été résolu quand celui qui avait acheté le nom (pensant tout acheter) a réparé son erreur quelques années plus tard en rachetant aussi les infrastructures, mais en attendant on allait pas tout jeter à la poubelle 😉
Quelques fûts ont donc été vendus, ceux récupérés par Velier dont on a déjà parlé, mais aussi d’autres récupérés par Plantation. Nous voilà donc avec un rhum 100% Pot Still, issu de la Barbade et distillé en 2007.
Nez
Voilà un profil plutôt atypique, du moins de prime abord. Outre l’alcool, légèrement trop présent, on y retrouve un boisé assez fruité avec du coco (classique) mais aussi de la poire, de la peau d’orange et une pointe de raisin. Le côté pâtissier est bien présent aussi, avec de la vanille et de l’amande bien marquées, accompagnées d’une touche de solvant et de miel.
Bouche
Le boisé se fait plus marqué en bouche, faisant ressortir un peu d’amertume et procurant au rhum un côté « Cognac » plutôt marqué. Il est plutôt sec, même si on y retrouve un peu de coco et une pointe de banane. Cédric L y retrouve ce qu’il avait apprécié dans le Last Ward 2007 Habitation Velier, personnellement je le trouve trop peu gourmand.
8 – Clarendon MLC 2001 – 74%
Last but not least, retour en Jamaïque pour une véritable bombe. Face à nous, un rhum sorti de la distillerie Clarendon (qui produit les rhums de la marque Monymusk pour rappel), distillé en 2001 et frappé du mark MLC ( le plus élevé de la distillerie) qui correspond à un taux d’esters de 500 à 700 g/hlpa. Celui-ci titre à plus de 74% donc autant dire qu’il est à aborder avec précaution!
Nez
Wouah là ça diffuse fortement dans la pièce, on sent que la délicatesse ne sera pas sa principale qualité 😉 Une fois aéré bien sûr l’alcool reste présent, avec un titrage pareil c’est évident qu’il faut prendre des précautions. Le profil est agréable, principalement entre l’ananas et la vanille, plein de gourmandise. Le boisé complexe apporte de la profondeur sans écraser le profil et il s’accompagne d’une petite fraîcheur végétale, de tabac, de notes de cuir mais aussi de vernis et de solvant. Du fruit de la passion et de la goyave viennent ajouter leur touche au fruité, pour un profil qui donne envie d’y plonger.
Bouche
Comme au nez, si on fait abstraction de la force de l’alcool (là aussi évidente), l’ananas et la vanille sont les premiers à se montrer présents. Le boisé est là aussi bien présent sans l’être trop pour un rhum très complexe. On a un bel équilibre entre boisé et fruité, c’est agréable à déguster même si c’est très puissant. Rayon fruits on retrouve aussi, en complément de l’ananas, la pêche et la cerise amère. Le côté pâtissier vient plutôt après, avec des notes de biscotte beurrée et de brioche, accompagné d’un caramel teinté d’une pointe de sel. Dans la longueur c’est l’olive qui petit à petit s’exprime, pour persister longuement.
Voilà un jamaïcain sacrément bon et si ça devait être embouteillé là maintenant plusieurs d’entre nous plongeraient dessus à coup sûr, une vraie bombe!
Conclusion
Voilà une soirée qui fut riche, que ce soit en rencontres, en partage et en dégustations. Je tiens d’abord à remercier l’ami Matthieu qui a permis à cette super soirée d’avoir lieu. Tous les participants sont repartis aux anges et c’est grâce à lui. Niveau dégustations la Jamaïque sort évidemment gagnante: que ce soit avec le vintage ou avec l’exclusivité, Plantation a montré qu’ils savent y faire en matière de rhum hautement aromatique! Pour le reste chacun repartira avec ses coups de coeur, le vintage Trinidad a marqué pas mal de points, et nul doute que les participants vont surveiller avec attention les futures sorties de cette gamme abordable!