Dégustation du soir, Martinique

Depaz: une histoire de bruts – 1ère partie

Il était une fois, une distillerie martiniquaise qui souhaitait de repositionner sur un marché qui lui échappait. Or, le meilleur moyen de se recentrer vis à vis des souhaits des consommateurs reste encore d’analyser le marché en profondeur. Pour cela il faut aller chercher les données de ventes globales, analyser les profils des clients et écouter ce qu’ils disent partout où c’est possible. Et qui dit « avis du client » de nos jours dit forcément réseaux sociaux, Facebook en tête. Forts de cette analyse, la distillerie a dû en arriver à la conclusion que les clients voulaient des rhums « brut de fûts ».

Aussitôt dit aussitôt fait (ou presque), nous voilà avec une première vague de 3 sorties Depaz, toutes sous la mention « brut de fût ». Bon toutes aussi sous la mention « Fût unique », ce qui fait que le millésime 2000 est en fait dédoublé en fût 602 et 603. Résultat, 4 références et une question inévitable: est-ce que c’est bon?

Si vous suivez déjà un minimum vous avez la réponse pour une des 4 (allez je vous aide). Pour les autres, il va falloir s’y atteler et ça tombe bien, c’est justement le programme du jour avant de s’atteler, un peu plus tard, à la deuxième vague, celle de cet automne 2019 😉


1 – Brut de fût 2000 fût 602 – 58,5%

Parcequ’il faut bien commencer par quelque part, on va suivre l’ordre chronologique et numérique en commençant par le millésime 2000. Le fût 603 ayant donc déjà fait l’objet d’une note à lui tout seul, je propose ici une note de l’autre fût, le 602, avant de les comparer en face à face. Rayon présentation nous sommes toujours face à un embouteillage « brut de fût », de 17ans effectifs (mise en fût Sept-2000, mise en bouteille Fév-2018), embouteillé à 58,5%. Son prix de sortie était autour des 110€ mais il a flambé presque immédiatement, montant allègrement aux 200€.

Nez

Le profil est très typé et nous emporte immédiatement dans le fût. les marqueurs principaux sont très vineux et bien épicés, le tout englobé dans un boisé bien présent. Le poivre prédomine, accompagné d’un côté pâtissier à base d’amandes. Les fruits sont présents mais en arrière plan, plutôt légers. J’y retrouve aussi des notes de pain d’épices.

Bouche

Les fruits, qui étaient discrets au nez, se font plus présents en bouche même s’ils restent dans le profil vineux. Les épices sont bien présentes aussi, le poivre toujours en tête. Les fruits sont confits et mêlés au boisé, penchants sur le raisin sec. L’ensemble est plutôt chaud et souple sur le palais, sans être trop agressif.


photo: J-P Chauliaguet

2 – Comparaison des 2000: fût 602 vs fût 603

Les verres ont été servis en même temps, on eu le temps de s’aérer avant que je ne m’y penche, le tout histoire d’avoir une comparaison la plus représentative possible.

Au nez la différence est plutôt faible. Certes il y a des différences et on va retrouver celles des dégustations indépendantes mais ça se joue à peu de choses. Le 602 est plus vineux, un peu plus sec et épicé, là où le 603 est plus marqué par le fruit gourmand, plus rond même si les épices sont là aussi.

En bouche le ressenti est cohérent avec le nez. Le profil vineux du 602 reste marqué face aux fruits gourmands du 603. De nouveau rien d’incroyablement marqué mais des détails nets.

En conclusion le résultat est relativement subtil tout en étant net: on sent bien les points communs (même rhum de base dans le fût, même âge, même conditions de vieillissement etc) mais on sent aussi les différences de profil de chaque fût et les préférences de chacun feront pencher la balance vers l’un ou l’autre.


3 – Brut de fût 2003

Continuons dans l’ordre chronologique des millésimes, même si nous nous penchons sur le dernier sorti. Direction donc l’année 2003, une récolte faste en Martinique. Ce rhum a passé 15 ans en fût avant d’être embouteillé sans réduction à 61%. Il est à noter que contrairement aux deux précédents, celui-ci est encore disponible dans le commerce de première ligne. Son prix de sortie à oscillé entre 150 et 190€ (son prix actuel).

photo: J-P Chauliaguet

Nez

Premier contact et première impression: il en a des choses à raconter lui! Le nez est assez complexe et en même temps typique de la distillerie. Il est d’abord caractérisé par un boisé à la fois frais et épicé. J’y relève du camphre notamment, qui accompagne une poignée de fruits frais et de fruits confits. J’ai noté de la pêche et de la cerise, entre autres. Viennent aussi une touche pâtissière avec de la pâte à gâteau fraîche, de la levure et des amandes. C’est gourmand et j’y serais bien resté des heures.

Bouche

Sur le palais pas de mauvaise surprise: les arômes du nez sont toujours bien présents. Le boisé épicé, les fruits frais et confits. Le raisin se fait toutefois un peu plus présent parmi les fruits frais. Le résultat est une bouche toute aussi gourmande et agréable que le nez. Le profil me rappelle énormément la Cuvée Grand Saint-Pierre.


4 – Brut de fût 2004

Terminons enfin avec le plus « jeune » de la bande, le millésime 2004. Chronologiquement il y a eu un saut puisque ce 2004 est sorti juste après le 2000 mais n’a été disponible qu’à l’export initialement. Il est donc apparu en Italie, en Allemagne, etc mais pas en France. Et puis, quelques mois après, il est enfin apparu chez les vendeurs français, en même temps ou presque que le 2003. Une chronologie étrange donc mais qui a entraîné des variations dans son prix aussi importantes que celui du 2003. Actuellement il se trouve autour de 170€. Le rhum a séjourné 14 ans en fût, avant embouteillage à 58%.

photo: J-P Chauliaguet

Nez

Dégusté en même temps que le 2003, la comparaison ne permet aucune ambiguité: deux millésimes, deux rhums très différents! Le nez est bien boisé comme le précédent mais ici le bois est beaucoup plus sec et a été fraîchement ciré. Les arômes de cire à bois fraîche sont assez marqués. Je retrouve également du tabac frais et un peu de réglisse. C’est bien moins gourmand selon moi que le 2003.

Bouche

Là encore la cohérence nez/bouche est présente: dès le premier contact avec le palais c’est le boisé et la cire quii se démarquent. Les épices sont présentes aussi mais je ne retrouve pas le bouquet de fruits que j’avais tant aimé dans le 2003. De ce boisé résulte aussi une légère amertume en fin de bouche. La gourmandise du précédent tranche avec ce 2004 qui me plait beaucoup moins.


Conclusion

On peut parler de pari réussi pour la distillerie. Que ce soit d’un point de vue qualitatif ou d’un point de vue commercial, je pense que les attentes sont remplies. Tout d’abord le contenu, on est face a des profils plutôt différents tout en retrouvant les marqueurs Depaz. Bien sûr il y aura des préférences parmi la liste, mais l’essentiel est que chacun y trouvera une bouteille à son goût.

Niveau commercial ensuite le succès de la gamme n’est déjà plus à démontrer. Les bouteilles s’arrachent comme des petits pains et le prix de sortie moyen est cohérent pour des bruts de fût martiniquais. Attention par contre aux effets pervers du succès: la spéculation, le marché secondaire agressif et le découragement des acheteurs du marché primaire. Les bouteilles n’ont pour ainsi dire pas le temps d’arriver sur les étagères des cavistes qu’elles sont déjà sold-out et en vente sur le marché secondaire avec plus-value. Ce genre de mécanisme est bien connu des amateurs mais attention à ce que Depaz ne finisse pas par saturer ses ventes comme Velier le fait, avec des bouteilles qui finissent plus comme monnaie d’échange que comme bouteilles de dégustations!

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