Décidément, 2020 restera bien gravée dans la mémoire mondiale. Non pas à cause des soirées des Amis des Amis du Rhum mais à cause de cette saleté de Covid. Souvenez-vous, lors du compte-rendu de la dernière soirée Reimonenq/Montebello, je vous racontais que, de début avril, elle s’était retrouvée programmée fin août. La dernière soirée restant au programme de la saison 4 restant en suspens pour cause d’organisation incompatible avec les règles covid, nous avons pu attaquer la Saison 5 en ce début de mois d’octobre avant une pause forcée qui risque de durer malheureusement…
Bref, c’est un retour en Martinique pour cette première soirée de la saison avec une soirée dédiée à la distillerie Trois Rivières. Cette distillerie, que l’on doit à l’illustre Fouquet et dont les traces remontent à 1660, est l’un des noms les plus connus du grand public en matière de rhum. Mais connaître le nom ne veut pas dire connaître la gamme et celle-ci est tellement large que peu de monde la connaît réellement.
Nous allons donc nous attarder sur 7 références, histoire de faire un beau voyage au fil de ces trois rivières qui ont donné son nom à la distillerie 😉
L’article ci-dessous reprend les notes conjointes de Thomas, Cédric L, Michaël et Cédric Sip.

1 – Anniversaire 355 ans – 55%
Premier arrêt de la soirée, commençons par un blanc. Mais là où les distilleries ont tendance à multiplier les rhums blancs « premium » (comprendre parcellaire, brut de colonne, sélection spéciale etc), Trois Rivières propose peu de blancs de dégustation. Pour ne pas tomber dans le blanc de grande surface, nous nous penchons sur cette édition « 355 ans » au design magnifiquement bleu turquoise.
Cette bouteille, titrant à 55%, est sortie en 2015 et célèbre les … 355 ans de la distillerie … il y en a qui suivent!

Nez
Pas de doute, on est bien face à un rhum agricole! Ca sent la canne fraîche et les autres arômes ne viennent qu’embellir cette note plus que principale. Les fruits (fraise, agrumes, citron vert et banane même) et un côté épicé/minéral (à base de poivre, d’iode et de réglisse) rendent le profil très agréable.
Bouche
Cohérent avec le nez, il se fait moins fruité mais tout aussi agricole en bouche. Les épices prennent ici le dessus avec du poivre et du piment. Le rhum est assez expressif et répond présent. Des notes de levure font par moments leur apparition rendant la dégustation assez classique, plus en tout cas que ce que le nez suggérait.
2 – Triple millésime 1999-2000-2009 – 42%
Passons maintenant à la gamme de vieux avec ce qui est un des meilleurs rapports qualité/prix du marché. La gamme Trois Rivières comporte depuis quelques années un « triple millésime », qui est en fait un XO donc la composition est dans le nom. Cet assemblage succède à la version 1998-2000-2007 et a été réalisé en 2019 par le maître de chai Daniel Baudin. Le plus jeune rhum de l’assemblage a donc une dizaine d’années pour une petite vingtaine (!) pour le plus ancien. Alors certes, pour une cinquantaine d’euros il ne faut pas s’attendre à ce que le 1999 représente la moitié de l’assemblage mais ça reste malgré tout un prix défiant toute concurrence et permettant de rentrer en douceur dans le monde des rhums martiniquais.

Nez
Nous voilà face à un mélange de tout ce qu’un bon rhum peut proposer. Le profil est boisé mais pas trop, avec un boisé sec qui va servir de colonne vertébrale autour de laquelle vont s’articuler les épices (cannelle, girofle, vanille, muscade) et un côté presque pâtissier avec du caramel, du pain d’épices et une certaine rondeur finissant par pencher vers la fumée et le sucre grillé. Les fruits sont léger avec de la poire et du raisin frais pour apporter un côté végétal.
Bouche
Le boisé qui était plutôt dans la suggestion au nez prend ici les commandes en se faisant plus marqué. Avec lui, les épices sont toujours le marqueur principal et on retrouve la cannelle, le poivre, la girofle, la vanille ainsi que le curcuma. Les fruits sont plutôt confits avec du raisin et de la banane, accompagnés d’amande. Au final ceux qui se souviennent de la première version de ce triple millésime lui préfèrent nettement cette deuxième édition, moins boisée et plus riche.
3 – Réserve Spéciale ancienne version – 40%
Après cette belle découverte faisons un petit retour dans le passé avec une ancienne édition de la Réserve Spéciale. Au menu un rhum avec très peu d’informations si ce n’est que le nom désigne un rhum de 4 ans minimum, un VSOP en d’autres termes. La bouteille daterait des années 90 mais sans indication supplémentaire.

Nez
Le nez annonce plus de douceur que le précédent, avec plus de fruits entre les fruits secs (pruneaux et raisins secs) et ceux caramélisés, allant même jusqu’à la banane flambée. Le boisé et les épices sont bien entendu présents également avec du caramel, de la cannelle, de la vanille, des notes de foin et un côté « jus de canne ».
Bouche
Sur le palais, le boisé ressort tout de suite plus, masquant un peu le reste. Les fruits sont secs ou confits, avec des notes d’orange, accompagnés de cannelle, de piment, de miel et d’une pointe de fraîcheur salvatrice. Malheureusement il s’éteint un peu vite et les 40 petits % d’alcool ne suffisent pas à relever la longueur.
4 – Single Cask 2007 M2-14 – 43%
Retour dans le présent avec le premier single cask de la soirée. S’il y a bien une marque de fabrique chez Trois Rivières c’est le nombre d’embouteillages qu’ils proposent en single casks… La gamme est énorme et impossible à suivre, même pour les passionnés.
Mais du coup elle propose pas mal de bouteilles à bon rapport qualité/prix et c’est justement sur ce créneau que nous goûtons ce rhum de 2007, vieilli 7,5 ans en ancien fût de Cognac. Il a été réduit à 43% avant l’embouteillage et se trouve à un tarif approximatif de 70€.

Nez
Voilà un profil qui tranche un peu dans la continuité de la soirée. Le boisé et les épices sont présents mais nettement en retrait, supplantés par les fruits. Ceux-ci sont gourmands, portés sur la pêche jaune, la nectarine et la figue. Ils s’accompagnent de vanille, de poivre et de notes plus lourdes type solvant et cire.
Bouche
La bouche est plus chaude que ce que laissait transparaître le nez, avec des notes plus confites au niveau des fruits mais surtout un profil marqué par le boisé, le café et le chocolat même. Des notes torréfiées et de fruits secs (noisette) se joignent à l’ensemble dans un mélange rehaussé par les épices. La finale est dans le même registre (café) et tout de même d’une certaine force, surtout pour ses 43 petits % d’alcool.
5 – Cuvée Bois d’Inde – 42%
Petit rappel historique sur le passé de la distillerie avec cette cuvée dédiée à une des 3 rivières qui arrosaient la distillerie (les deux autres étant Oman et Saint-Pierre). Chaque rivière a eu sa cuvée dédiée et celle qui nous occupe aujourd’hui est le fruit d’un assemblage de 11 rhums, dont le millésime 1979 nous dit-on. Au menu donc un assemblage de qualité mais dans un tarif plus qu’étrange puisque nous sommes là face à la bouteille la plus onéreuse de la soirée, son prix de vente tournant entre 170 et 190€. Voyons donc ce que les 42% de la bouteille ont à nous raconter.

Nez
De nouveau le profil est particulièrement épicé même s’il gagne ici en rondeur par rapport aux précédents. Les épices sont plus douces (girofle, cacao, fève Tonka) et un côté pâtissier vient enrichir cette sensation avec du spéculoos, de la pâte d’amande et du pain d’épices. Les fruits sont plutôt frais, avec du raisin et de l’orange.
Bouche
Sur la langue le profil s’alourdit un peu avec un boisé légèrement humide qui se joint au épices toujours douces (la badiane rejoint les épices du nez). Le fruité s’enrichit d’abricot, de fruits exotiques séchés et l’orange devient amère. Le café et la vanille montrent de nouveau le bout de leur nez avant l’évolution finale qui est plus épicée et fraîche.
6 – 2005 Cuvée Bèlè – 52%
Pour l’avant-dernier rhum de la soirée nous nous penchons sur une bouteille que nous vous avions déjà présenté par ici. Je ne vais donc pas m’attarder sur la présentation 😉

Nez
Le nez est de nouveau marqué par le boisé mais cette fois-ci il semble plus caramélisé, voire toasté. Nous y retrouvons un mélange de vieux bois et de spiritueux évaporé qui rappelle l’odeur d’un vieux chai. Les épices sont présentes (cannelle, girofle, curry, poivre et vanille) et elles sont accompagnées de fruits, nettement confits, desquels ressortent une pointe d’écorce d’orange et des notes plus surprenantes de balsamique.
Bouche
Comme au nez le boisé domine. Le rhum est presque épais en bouche avec des effluves empyreumatiques, des épices orientales et les fruits à coque (noisette notamment). Le duo café/cacao se joint à la vanille et à une amertume fruitée (celle d’un pamplemousse ou d’une orange) pour épaissir encore la perspective. Des notes mentholées viennent finaliser le tableau.
7 – Single Cask 2006 Cask Strength – 55,5%
Last but not least, on change de format de bouteille pour cette édition 2006 « cask strength ». Cette bouteille a longtemps été un gros succès de la distillerie, de nouveau grâce à un rapport qualité/prix imbattable puisque la bouteille de 50cl était vendue aux alentours des 70€. Une rupture et une remise sur le marché d’une version plus âgée plus tard, le tarif avait fait un bond énorme, coupant l’enthousiasme des amateurs. Reste qu’heureusement cette version numéro 1 se trouve encore et que pour son prix on ne peut vraiment pas se plaindre d’être floué! Il s’agit donc d’un rhum de 2006, ayant passé 8 ans en fût pour être embouteillé brut de fût au titre de 55,5%.

Nez
Un beau résumé de la soirée avec pas mal de fruits: de la banane flambée, du litchi, de la pomme, de la poire. À côté de ça, le boisé est bien présent et complexe, associé aux épices presque classiques pour le jour et à des notes plus profondes comme le miel, la cire, le mine de crayon même. Le tout est enveloppé dans un ensemble de parfums plus classiques, de la vanille, du caramel/cassonade et du pâtissier.
Bouche
On reste sur le même mix de valeurs sûres: les épices passent à l’offensive (piment , girofle) pour se joindre au boisé gourmand et aux fruits plutôt confits (toujours pomme et poire). L’ensemble est très bien équilibré et chaque élément est intégré de façon optimale dans un rhum complexe.
Conclusion
Après cette soirée et cette série de dégustations la ligne générale de la distillerie apparaît clairement. Du boisé, des épices et du fruit en arrière plan, voilà la marque de fabrique de Trois Rivières.
Un modèle qu’ils maîtrisent parfaitement d’après la satisfaction générale de l’assemblée. Rayon coups de cœur de la rédaction, le 2006 tire son épingle du jeu et est celui qui revient le plus souvent dans les « tops ». Bois d’inde, Bèlè et triple millésime repartent également avec une bonne note, pour des raisons diverses.
Cédric L nous fait remarquer à juste titre que même si la qualité est souvent de mise chez Trois Rivières, ceux qui ont marqué l’opinion sont ceux pour lesquels le fruité joue à armes égal avec le boisé. Il reprend en exemple le magnifique 2003 sélectionné par la Maison du Rhum ici en Belgique. Et il est vrai que si Trois Rivières fait toujours de belles choses dans sa gamme classique, elle n’excelle jamais autant que lorsqu’elle sort des sentiers battus 😉