Dégustation du soir, Martinique

Neisson 2005: 1 millésime / 4 bouteilles

Il est de ces bouteilles qui marquent les souvenirs et qui changent instantanément la perception de celui qui y goûte. Parfois même ces changements sont si profonds qu’ils façonnent les goûts du dégustateur pour longtemps. C’est exactement ce qui m’est arrivé lorsque j’ai goûté pour la première fois un Neisson 2005 (la version 9 ans en l’occurrence). Ca a été une révélation et surtout le début de mon amour pour cette distillerie et ce qu’elle produit!

Depuis ce premier contact, Neisson a eu la bonne idée de sortir d’autres embouteillages issus de cette même récolte de 2005. Une version 7 ans était déjà disponible à l’époque, une version 11 ans est sortie en 2017 pour célébrer les 70 ans de Velier et enfin une version 12 ans est sortie fin 2018 pour remplacer le premier batch de 12 ans, le 2004. Aujourd’hui je vais donc vous parler de ces 4 embouteillages avec une dégustation individuelle et un comparatif.

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Les belles vues de dos: ça fourmille d’informations!

Mode opératoire

Pour cette comparaison j’ai procédé en deux temps. Première étape, déguster chacun des rhums individuellement, sans aucune comparaison, histoire de tenter d’en déceler les arômes distinctifs. Dans un deuxième temps je les ai confrontés tous ensemble, la perception changeant énormément avec un point de repère à disposition.


Neisson 2005 (7 ans) – 45,8%

Première dégustation, attaquons-nous à ce 2005 de 7 ans. Distillé le 11 mai 2005, le rhum a été mis en vieillissement le 17 mai 2005 pour être soutiré et mis en bouteille le 3 septembre 2012. Pas de mention de « fût unique » sur celui-ci, ni de numéro de fût. On peut donc penser qu’il s’agit d’un assemblage de minimum 2 fûts mais c’est peut-être aussi juste un « oubli ». En revanche il est indiqué que le rhum est « brut de fût », c’est à dire qu’il n’y a pas eu de réduction entre la sortie du fût et l’entrée eu bouteille. Ne nous méprenons pas, il y a bien eu une réduction mais préalable lors de l’ouillage annuel du fût. Nous sommes donc face à un rhum qui titre à 45,8%.

Nez

Le profil olfactif pourrait presque se résumer en un mot: « frais »! Il se compose de fruits, frais évidemment, pas trop mûrs ni trop verts. Je dirais que j’y retrouve de la pêche, de l’abricot et du raisin. Il n’y a quasiment pas de boisé, en tout cas pas suffisamment pour être perceptible directement. Des épices sont présentes par légères touches, juste délicatement posées. J’y retrouve aussi une touche de café. Le résultat global est assez rond et gourmand.

Bouche

La bouche est très proche du nez et les marqueurs retrouvés sont identiques. C’est assez cohérent et, même si ça manque un peu de longueur, c’est agréable.


Neisson 2005 (9 ans) – 43%

Deuxième dégustation, il s’agit cette fois du Rhum avec un grand R, celui dont je parle dans l’introduction de l’article. Distillé en avril 2005, il a été mis en vieillissement le 30 novembre 2005 et mis en bouteille le 31 juillet 2014. Toujours pas de mention fût unique car la série est composée de 4 fûts. Par contre ils ont été embouteillés individuellement sous les numéros 11169, 11170, 11171 et 11172. Dans cet article je déguste le 11171 mais qui sait, un jour je pourrais vous proposer le comparatif des 4 fûts. Le rhum est toujours estampillé « brut de fût » mais la remarque sur l’ouillage est tout aussi valable que pour le 7 ans ci-dessus.

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Nez

Le nez de celui-ci est un mélange de fruits juste mûrs, de vanille, de boisé mais aussi d’un profil « vin rouge ». Je ne parle pas là de rancio mais vraiment d’un côté vineux. J’y retrouve aussi des notes végétales, du raisin et un peu de cacao. Avec l’ouverture ça s’arrondit et le profil devient sucré et toujours plus fruité.

Bouche

Sur le palais les arômes qui ressortent sont ceux des fruits secs, l’amande en tête, mêlés à un fruité tout en rondeur. Les fruits sont plutôt à chair blanche/jaune, comme souvent chez Neisson. À celà s’ajoute un boisé très léger et un peu d’amertume. Le côté végétal déjà retrouvé dans le nez fait aussi son apparition. C’est bon et bien équilibré. Tout en retenue et à la fois pas avare d’arômes. La finesse incarnée!


Neisson 2005 70th Velier (11 ans) – 51,3%

Nouveau bond dans le temps pour nous retrouver avec cette 3ème version. Elle a été embouteillée à l’occasion des 70 ans de l’embouteilleur italien Velier et est sortie à 1150 exemplaires. Le rhum a été mis en vieillissement le 28 décembre 2005, est sorti de barrique le 13 février 2017 et a été embouteillé en mars 2017. De nouveau pas de fût unique vu le volume embouteillé et de nouveau un rhum « brut de fût » mais moins ouillé que les précédents puisqu’on passe ici la barre psychologique des 50%.

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Nez

Aucun doute, c’est bien un Neisson 2005: la filiation est là. Le nez est sur un mélange de fruits et d’épices, le tout sur fond d’un boisé léger et accompagné d’un belle note végétale. De cet ensemble ressort l’amande, plus en version « biscuit Amaretti » italien que amande fraîche. Le boisé quant à lui me fait penser à un vieux meuble, bien sec et qui renvoie aux odeurs de l’enfance. C’est très agréable mais le côté fruité a tendance à s’effacer derrière ces arômes de boisé.

Bouche

Le profil est plus classique pour un Neisson en revanche. Sur le palais défilent le caramel, la vanille, la mélasse et les fruits. L’amande du nez est toujours là, acompagnée d’un boisé plus rond qu’escompté. Les fruits se font confits, ce qui apporte aussi ses notes de rondeur à cette bouche plus enjôleuse que le nez. Le côté végétal détecté précédemment ne se retrouve en revanche pas ici .


Neisson 2005 12 ans – 49,7%

Quatrième embouteillage d’un Neisson millésime 2005, nous voici face au 2e batch du Neisson « 12 ans ». Le premier batch de cette cuvée « 12 ans » était sorti en 2017 avec un millésime 2004. La deuxième version dont nous parlons ici est un rhum mis en vieillissement le 30 novembre 2005 et dépoté le 30 avril 2018. Il existe 1742 bouteilles de cette cuvée, ni plus ni moins. De nouveau pas de mention « fût unique » mais pas de mention « brut de fût » non plus. Pourtant le titre flirte avec les 50% et est donc bien supérieur au titre des deux premiers.

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Nez

C’est gourmand ! Nous sommes directement sur les fruits et le boisé. Les fruits sont bien mûrs voire compotés. Je trouve de la pomme, de la poire, mêlées aux fruits exotiques.
Le boisé est plutôt fin, présent mais pas écrasant, tirant sur le bois ciré. Enfin, de petites touches végétales font de temps à autre leur apparition.
C’est hyper agréable et ça donne vraiment envie de passer la soirée le nez dans le verre.

Bouche

La première bouche est plus « fruit frais » que le nez, moins gourmande. La faute sans doute au boisé qui est beaucoup plus discret. Légèrement acide en bouche même. Les fruits sont là aussi, du raisin, un peu de mangue. Une touche de réglisse aussi.
C’est agréable et de mémoire on a là un profil qui est cohérent avec les autres 2005.


Comparaison: 7 vs 9 vs 11 vs 12

Les 4 sont servis, le volume est similaire pour chacun, ils ont aéré plusieurs dizaines de minutes donc allons-y!

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Nez

Immédiatement ça saute aux yeux (enfin au nez plutôt) : la filiation est évidente. Ce n’est plus un fil rouge c’est toute la bobine tant les profils sont sur cette même trame omniprésente. Quelles que soient les différences détectées, elles ne l’auront été que passé ce premier rideau de similarités.
Le 7 ans a une fraîcheur que les autres n’ont pas, un certain côté fruité/fleuri qui ressort et qui lui permet de se démarquer des 3 autres. Avec le 9 ans c’est l’entrée en jeu des notes boisées auquelles s’ajoute de légères notes épicées. Le 7 ans en était très peu pourvu mais elles apparaissent dans ce 9 ans qui garde pourtant le côté fruité présent dans le 7. Le 11 ans et le 12 ans se montrent plus discrets olfactivement face aux jeunes. Dans le 11 la part de fruits qui restait dans le 9 disparaît presque complètement, laissant un nez boisé et confit. Un peu comme si les fruits avaient été réduits en sirop et additionnés d’épices. Le 12 ans paraîtrait presque sec à côté des autres.

En résumé on peut presque tracer des courbes inverses pour le côté fruité/fleuri et pour le boisé/épicé. Le 9 ans me semble le point le plus équilibré mais ça relève aussi de la perception personnelle.

Bouche

  1. du plus vieux au plus jeune

Le 11 ans paraît immédiatement beaucoup plus marqué par un côté rancio, presque vineux, que le 12 ans. Il a des arômes grillés et toastés que le 12 ans n’a pas avec un profil plus fruité, sur le raisin frais notamment.
Le 9ans, après ces deux là, apporte plus de finesse, à cheval sur le fruité et le boisé. Le 11ans est vraiment boisé par rapport à lui et légèrement amer.
Le 7 paraît doux après ces trois-là: presque pas d’amertume, beaucoup de fruits et un côté végétal/fleurs très marqué. C’est fin et ça rafraîchit après les 3 autres.

2.  du plus jeune au plus vieux

En redémarrant du 7ans, le 9ans apporte une touche de profondeur et de complexité sur le profil du 7. Cette profondeur est apportée par les arômes issus du bois du fût et c’est ici que l’on remarque vraiment l’intérêt du boisé dans le profil de ces 2005 tant il enrichit la dégustation.
Le 11ans, lui, marque vraiment cette rupture avec une amertume franche. Ça ne m’avait pas marqué du tout en dégustation seule mais là c’est très présent.
Le 12ans derrière fait réapparaître le fruité et perd une bonne partie de cette amertume presque dérangeante du 11ans en face à face. Il se rapproche du coup plus du profil du 9 ans, mais en étant quand même moins fruité et plus boisé.


Conclusion

Il y a plusieurs enseignements à tirer de ce comparatif.
Le premier, et celui qui m’a le plus frappé, c’est la différence de perception entre les dégustations seules et la dégustation comparative… L’amertume perçue dans le 11ans en est le meilleur exemple tant elle ne m’avait jamais marquée en dégustation solitaire alors qu’elle est omniprésente sur le comparatif.

Le deuxième enseignement que je tirerais est sur l’utilité du vieillissement. les différences entre le 7ans et le 9ans montrent bien l’apport du bois entre ces deux embouteillages. Il a nettement enrichi la dégustation et même si j’aime beaucoup le fruité dans les rhums, je reste sur une préférence pour le fruité/boisé du 9 ans par rapport au plus jeune. Par contre on voit qu’au delà ça devient plus compliqué de trouver le bon équilibre pour ne pas avoir un profil trop boisé.

Enfin je concluerais sur le dernier enseignement qui est celui de la continuité entre les 4 embouteillages. Certes il y a des différences mais la trame commune est plus qu’évidente et ça montre bien à ceux qui en doutent encore à quel point le millésime peut influencer le profil aromatique d’un rhum agricole!

 

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