On le dit souvent, le monde du rhum est un petit monde et tout y est lié. L’imbrication, lointaine ou pas, de tous les acteurs se matérialise de temps en temps par des apparitions de plusieurs rhums similaires sur un marché qui n’en proposait pas avant. Pensons par exemple aux New Yarmouth1994 qui fleurissent chez les embouteilleurs depuis quelque temps, ou encore aux Monymusk 1984 qui sont sortis presque simultanément chez Velier, Plantation, Silver Seal alors que ce millésime n’existait pas sur le marché.
Bref il y a comme ça des apparitions simultanées qui s’expliquent aisément lorsqu’on connaît les acteurs le l’ombre mais qui font tout de même toujours réfléchir.

L’apparition en 2021 d’un mark jusque là inconnu chez Hampden fait partie de ces évènements.
Tout d’abord il y a eu le Whisky Live Paris 2021, lors duquel Plantation a présenté un Hampden 2002 arborant les lettres « HJF ». Tout le monde ou presque s’est étonné de ces lettres, celles-ci ne faisant pas partie des « marks » connus. Il est alors apparu qu’il s’agissait d’un ancien « mark » de la distillerie et qu’il correspondait à un taux d’esters désormais inclus dans le « mark » HLCF.
Et puis ce même « mark » oublié est apparu chez Old Brothers, d’abord pour un embouteillage dédié à The Nectar présenté lors du Spirits in the sky, et ensuite plus récemment sur un embouteillage dédié à la fois au groupe Esters & Co et au nouveau salon Open Spirits.
Voilà donc 3 sorties d’un « mark » oublié, groupées sur 3 mois de temps. De quoi nous pencher sur l’ensemble et voir un peu de quoi il retourne 😉
1 – Old Brothers HJF 2008 Esters & Co – 60,8%
Dernier venu du trio, commençons donc par ce 2008. Présenté en décembre 2021 lors du tout nouveau salon Open Spirits, organisé par le caviste La Source (alias Anthony Martins, monsieur Old Brothers), ce rhum arbore aussi le logo du groupe Facebook « Esters & Co », groupe de passionnés des rhums chargés en esters, Jamaïque et « Grand Arôme » en tête.
Niveau fiche technique il a été distillé en 2008, a séjourné 12 ans sous le climat tropical dans un fût ex-Bourbon avant de terminer son vieillissement 1 an en France. 391 cols ont été embouteillés, commercialisés au tarif de 170€ (pour 50cl).

Nez
Un beau gros Hampden bien chargé, bien pâtissier, avec un ananas confit/rôti mêlé à une jolie brioche beurrée. Le fruité est gourmand et si l’ananas domine il s’accompagne de mangue, de fraises et d’une belle note de réglisse pour les rehausser. Il y a aussi de l’olive et une note saline, les deux étant présentes sans l’être trop. Le boisé ne se fait vraiment pas remarquer et même s’il se pare de notes fumées, il s’intègre parfaitement au côté pâtissier avec une jolie sucrosité.
Bouche
À peu de choses près les arômes retrouvés en bouche sont les même qu’au nez, c’est principalement l’équilibre entre eux qui varie. L’ananas est toujours présent, toujours confit/rôti aussi. Les notes pâtissières sont présentes aussi mais plus en recul, laissant un peu plus de place à un boisé légèrement végétal. L’alcool est bien intégré (on ne croirait pas qu’il titre à 60%) et on retrouve les olives plutôt dans la longueur, avant qu’elles ne laissent la place à un ananas qui récupère son trône en fin de fin de bouche.
Bref encore un très joli rhum, bien gourmand et expressif!
2 – Old Brothers HJF 2002 The Nectar – 53,6%
Celui-ci nous en avions déjà parlé lors du retour collectif que nous avions fait sur notre soirée Hampden. Il n’empêche qu’il me semblait important de le reprendre et de le comparer en direct avec les deux autres rhums du jour. Je ne vous refais pas la présentation complète mais seulement un résumé: un embouteillage pour les 15 ans de The Nectar, vieilli 17 ans sous les tropiques, 1 an et demi en France, une réduction à 53,6% et un peu plus de 420 bouteilles pour un prix de sortie autour des 250€ pour 50cl.

Nez
Le profil est toujours aussi séduisant, un mélange d’ananas et d’olives, rehaussés par une belle touche de réglisse et de menthol. Le boisé est discret, enrobé de miel et de cuir. Des notes de fruits supplémentaires se font remarquer, de l’orange notamment, avec une jolie vanille sucrée, une touche de poivre et de fève Tonka. L’ensemble est à la fois frais et gourmand.
Bouche
La gourmandise du nez, axée autour de l’ananas, s’additionne à un boisé présent et à un rancio certain. Qui plus est l’olive fait un grand pas en avant, venant fortement marquer la bouche. Ces arômes plus lourds induisent une petite amertume en bouche qui vient structurer l’ensemble et qui va faire persister cette olive (notamment) dans la longueur.
3 – Plantation HJF 2002 – 70,3%
Dernier de la trilogie, mais sans doute aussi le plus brutal sur papier, voici le Plantation HJF 2002. Au programme on devrait retrouver une vraie filiation avec le Old Brothers de la même année puisqu’il a lui aussi passé 17ans en Jamaïque avant de terminer son vieillissement 1 an à Cognac. Principale différence, le titre n’est ici « que » de 70,3% … âmes sensibles s’abstenir! Autre différence, les composés volatiles et esters: 826/2881 pour le Old Brothers pour « seulement » 669/2168 sur celui-ci. Bref de gros points communs entre les deux mais des détails qui ont leur importance! Autre (grosse) différence, le prix… ce Plantation est sorti à 165€ les 70 cl… soit presque la moitié du prix du Old Brothers…
Nez
On sent déjà plus la présence de l’alcool au premier nez. Viennent ensuite un ananas typique bien marqué par les épices mais surtout avec une belle quantité de solvants.
La sucrosité est aussi présente, devançant des notes pâtissières plus discrètes que sur le 2008 mais plus présentes que sur le 2002 Nectar, et cohabitant avec un boisé réglissé. Les fruits sont un peu plus verts, comme une nectarine à qui il manque un jour ou deux pour être à point.
Bouche
La chaleur de l’alcool se fait là aussi tout de suite remarquer, enrobant un profil bien plus pâtissier que ce que le nez ne le laissait croire. L’ananas est mêlé à l’olive qui fait une apparition puisqu’elle n’était pas présente au nez. Les épices, réglisse et anis en tête, sont toujours présentes et donnent un profil agréable et chaud qui vire sur le cumin au fil du temps.
La longueur est homogène et ne laisse pas un arôme prendre plus de place qu’un autre. Une légère amertume apparaît en fin de bouche, avec quelques notes boisées et une astringence sur la langue. Le profil persiste évidemment longtemps en bouche.
Conclusion
Plusieurs conclusions s’imposent après ce trio bourré d’esters. Tout d’abord celle que l’on soupçonnait avant d’y passer: oui, il y a un vrai lien entre les deux 2002. Le profil est vraiment similaire, marqué par le duo ananas/réglisse. Certes ils ont chacun leurs particularités avec notamment un Plantation bien plus marqué par les solvants et le pâtissier que la version Old Brothers, mais tout de même, il y a quelque chose.
Ensuite la continuité du « mark » HJF: en ne goûtant que les deux 2002 elle aurait pu sembler évidente, mais le 2008 est tout de même bien différent. Il est beaucoup plus « gourmand », avec son bouquet de fruits et son côté ultra-pâtissier. Alors oui, il y a tout de même une certaine continuité (le contraire aurait été vraiment surprenant) mais il y a aussi de belles différences.
Enfin le rapport qualité/prix. Soyons clair, nous sommes là face à trois très jolis rhums, et personne ne se trompera en achetant l’une de ces bouteilles: si l’ont peut se le permettre il n’y a pas de raison d’hésiter. Mais pour la grande majorité des amateurs le prix importe et il convient de comparer les tarifs au centilitre pour être complet. À ce jeu là Plantation l’emporte évidemment avec un prix au cl de 2,35€, quand les deux Old Brothers sont à 3,4€ et 5€/cl.
Bien entendu il est difficile de comparer les deux embouteilleurs tant ils s’apparentent à David et Goliath mais en ces temps difficiles pour tout le monde, on ne peut pas ne pas tenir compte de cet aspect financier, tout comme on peut aussi choisir de payer plus cher pour soutenir une petite entreprise face à la crise. Les deux points de vue se défendent même si dans ce cas précis la question ne se posera pas vraiment, les trois embouteillages étant peu ou prou devenus compliqués à trouver en dehors du marché secondaire…

Retrouvez ces rhums sur l’application RumX par ici: Old Brothers 2002, Old Brothers 2008 et Plantation 2002