Nous y voilà. Le mois de février se termine et il voit l’aboutissement d’un projet lancé à l’été 2018. À l’époque, en pleine préparation des thèmes je me suis dit qu’une soirée dédiée aux rhums de la Compagnie des Indes serait sympa, surtout qu’il y a plus que le choix parmi tous les embouteillages. Oui mais voilà, la Compagnie sans Florent Beuchet, ce n’est pas vraiment la Compagnie. Du coup je me suis mis en tête d’organiser cette soirée sous forme de masterclass, somme toute facile, non?
Rapidement je prends donc contact avec Florent et il me confirme qu’il est prêt à le faire, il faut juste faire coïncider le planning avec le distributeur belge. Commence alors de longues discussions pour définir et pour parvenir à fixer cette date: le 22 février 2019!
La date fixée, il ne restait plus qu’à choisir les rhums ! Par choix je me dirige alors vers une soirée 100% single casks. Pas que les blends soient moins bons mais simplement pour mieux coller à l’objectif de notre groupe, faire découvrir. Passé donc le premier rhum blanc traditionnel, direction donc 6 rhums vieux, single casks, réduits ou bruts de fût, et chacun d’une origine différente.
En route donc pour la route du rhum en compagnie de l’homme à la chemise à fleurs!
1 – Tricorne – 40%
Traditionnellement nous commençons presque toujours par un rhum blanc. Pas de raison de faire l’impasse cette fois-ci, nous commençons donc avec le seul blend du jour, le Tricorne. Celui-ci est un assemblage hors du commun puisqu’il est composé de rhum agricole, de rhum de mélasse et d’Arrack indonésien. Conçu à l’origine par Florent pour le monde du cocktail, il est parfait selon lui comme base pour un Maï Taï, une Caïpirinha et d’autres cocktails à base de rhum aromatique.
Nez
La première impression est sur la canne fraîche. Celle-ci est fruitée, tirant sur les agrumes (citron en tête, l’orange suit). Des touches variées, florales et épicées alternent également. Une fois vide le verre dégagera des notes de cerise.
Bouche
La bouche est dominée par les épices et le végétal. Nous y retrouvons de la canne évidemment, mais aussi du safran, du curry et du paprika pour Michaël qui est inspiré. Une pointe fruitée est présente, ainsi qu’un certaine rondeur en bouche.
La finale est relativement courte et plutôt sur le citron. Le faible titrage est certainement en cause mais rappelons nous que le but de ce rhum est de faire des cocktails, pas d’avoir une longueur folle en dégustation 😉
2 – El Salvador Cihuatan 9 ans – 43%
Commençons les rhums vieux avec cet embouteillage issu d’un pays assez peu courant : le Salvador. Ce pays est situé au cœur de l’Amérique Centrale, sur la façade Pacifique. Le rhum lui a été distillé en 2007 pour être embouteillé 9 ans plus tard d’après l’étiquette. Il s’agit du seul embouteillage non issu de la distillerie et Florent nous informe d’ailleurs qu’il y a une erreur sur l’étiquette et que le rhum a en fait 2 ans de plus, soit 11 ans. Nous sommes ici face à un Single Cask, comme nous le serons tout le reste de la soirée d’ailleurs.
Nez
Le nez est assez surprenant avec une amertume assez marquée d’entrée de jeu. Le profil fait penser tantôt à un whisky, tantôt à une grappa ou une eau-de-vie similaire. Ça sent les céréales, le pépin de raisin, le cacao amer aussi (en poudre). On y retrouve également des agrumes et de l’amande. Quelques notes fumées sont présentes aussi et même un côté « Bubblegum » pour Michaël.
Bouche
La bouche est cohérente avec le nez et les mêmes arômes s’y retrouvent. En affinant un peu on va y retrouver, en complément, du pain grillé et des fruits à coques (noix).
La finale sera plutôt sur la mélasse (mais sans ce côté gourmand/sucré de la mélasse). Les céréales et les agrumes précédemment rencontrés sont toujours là.
Ce rhum aura été une surprise pour l’ensemble du groupe. Les amateurs de whisky y auront trouvé un rhum qui leur parle bien plus qu’espéré, les autres ont été décontenancés de se retrouver face à un tel profil pour un rhum.
Florent confirme le ressenti du soir, c’est un rhum qui plait généralement aux amateurs de whisky. Et vu le prix de vente de ce single cask, ce serait dommage de s’en priver quand on aime ça!
3 – Guyana Diamond 14 ans – 43%
Direction ensuite le Demerara au Guyana, dans la distillerie bien connue de DDL. Nous sommes ici face à un Diamond de 14 ans, distillé en 2003. Comme la plupart des embouteillages estampillés « Diamond », il s’agit d’un assemblage à base de rhum de plusieurs des alambics de la distillerie. La base principale de celui-ci est bien issue de la colonne Diamond complètée par un jus issu de la colonne Savalle.
Nez
L’enchaînement avec le salvadorien précédent est aussi surprenant qu’incongru. On a tous en tête un profil « classique » de Diamond continental, et bien ce rhum-ci en est très éloigné. Le nez est d’entrée exubérant. C’est fruité, sur l’acide, avec des agrumes citronnés nettement dominants, mais aussi des notes de pomme. Il y a aussi des notes végétales avec du menthol notamment. Certaines effluves vont et viennent, c’est le cas notamment de la banane, de la fraise fraîche, du curry et de la vanille. C’est assez frais, plus qu’escompté sur un rhum de cet âge-là. Le profil est très séduisant et il fait partie de ces rhums sur lesquels on resterait penché pendant des heures sans y goûter tellement c’est gourmand.
Bouche
On finit par craquer et par y tremper les lèvres et là bonheur, c’est cohérent. On ne retrouve pas forcément tout ce qu’on trouvait au nez mais ça reste plaisant et dans la même lignée. les fruits sont là, plutôt à chair blanche avec de la pomme et de la poire notamment. L’amande s’adjoint de la canelle et du caramel pour la gourmandise. Le côté végétal pointe le bout de son nez également.
La finale fait ressortir le léger boisé, les fruits et l’amande. C’est vraiment hyper surprenant et en même temps très bien fait.
Un des coups de coeur de Cédric L sur la soirée, et il n’aura pas été le seul d’ailleurs.
4 – Jamaica Hampden 9 ans – 44%
Direction maintenant la Jamaïque avec un profil lourd à souhait: un bon gros Hampden. Il ne sera pas question de finesse ici: nous sommes face à un rhum âgé de 9 ans, distillé en 2009. Il a été présenté en Belgique lors du Salon du rhum de Spa 2018, en compagnie d’une version High proof du même âge mais titrant à 55%. Lors de la dégustation sur le salon j’avais été frappé par leurs différences, montrant bien que nous étions face à deux fûts bien distincts.
Nez
Dès le premier contact c’est une explosion de fruits avec de grandes lignes directrices classiques de la distillerie: de l’ananas frais et de la réglisse, le tout enrobé dans une légère couche de vernis. C’est pâtissier aussi, tout en restant frais, en ne sombrant pas dans l’excès. La banane, elle aussi classique, est présente par petites touches, avec quelques épices comme du cumin et du curry. C’est très gourmand au nez, un vrai plaisir.
Bouche
On perd en bouche le côté frais du nez en gardant la gourmandise pâtissière. C’est moins fruité et on récupère une petite amertume avec l’ananas, toujours présent, mais plutôt « bien mûr » que frais. Le solvant est toujours présent discrètement. On ne retrouve que très peu d’olives, l’autre marqueur typique de la distillerie.
Nous sommes en présence d’un magnifique Hampden, qui plus est accessible grâce à ses 44% . C’est gourmand à souhait et pourtant extrêmement typique. Ceux qui n’aiment pas la Jamaïque ont très vite compris que ce rhum là n’était pas pour eux. Les amateurs du genre en revanche ont « kiffé ».
5 – Guadeloupe Bellevue 18 ans (version danoise) – 55,1%
Il est temps de passer à la rareté de la soirée avec cet embouteillage réservé au marché danois que j’ai pu me procurer, pour le plus grand plaisir de tous. Nous sommes donc face à un rhum issu de la distillerie Bellevue en Guadeloupe. Attention, ne pas confondre les différentes « Bellevue », on ne parle pas ici de la distillerie présente sur Marie-Galante: le Bellevue de l’étiquette désigne le domaine sur lequel est implanté la distillerie Damoiseau. Nous sommes donc ici face à un rhum distillé en 1998 et dépoté 18 ans plus tard. 265 bouteilles de cette pépite ont été embouteillées à 55,1%.
Nez
Le nez pourrait se résumer en un mot: « Wouah! ». On est face à un rhum expressif à souhait, même après le Hampden. C’est de nouveau une explosion de fruits mais plutôt sur base de cerise noire, de fruit de la passion, de citron, d’orange, d’ananas et d’une pointe d’olive. C’est épicé et végétal aussi, herbacé voire presque médicinal avec notamment du tabac, du raisin sec et du poivre vert. En le laissant bien respirer le profil s’ouvre et me fait de plus en plus penser à un profil « saucé » (à la Reimonenq quoi).
Bouche
Les arômes sont plutôt lourds, avec du cuir et un peu de fumé. Ceux-ci accompagnent des fruits plutôt grillés, le citron, la cerise et l’orange du nez notamment. L’amande est elle aussi présente mais elle apporte moins de rondeur qu’au nez et elle est accompagnées d’une pointe d’olive. Un petit côté vineux liquoreux fait des apparitions momentanées.
La finale va révéler des arômes de café et de cacao qui n’avaient pas encore fait leur apparition pour l’instant.
On n’a pas pensé à faire un sondage en fin de soirée mais toujours est-il que ce Bellevue aurait certainement remporté la majorité des suffrages tant il a plu à l’ensemble! C’est d’ailleurs LE coup de coeur de Cédric L et de moi-même.
6 – Barbade Foursquare 10 ans (version Salon de Spa) – 62,9%
Continuons dans les versions « spéciales » avec cet embouteillage réalisé en 2018 spécialement pour le Salon du rhum de Spa. Nous sommes face à un Foursquare qui a vieilli 10 ans dans un fût unique. Il a été embouteillé sans réduction et affiche donc un insolent 62,9% qui affiche directement ses intentions 😉
Nez
Directement on sent qu’il n’a rien à voir avec le précédent. Le nez est très marqué par la noix de coco. C’est gourmand et pâtissier avec, pêle-mêle, du caramel, du cacao, de l’amande, de la vanille façon « crème brûlée » et des touches de raisin et d’abricot séché.
Bouche
Le titre alcoolique de ce rhum est plus élevé que celui des précédents et ça se ressent tout de suite. Une amertume grillée/brûlée est bien présente, avec aussi de la crème brûlée, de l’orange, du raisin, de la noix de coco et de l’amande.
La finale est dans la même gamme avec de l’orange cuite et une touche d’amande.
Le résultat est un bon Foursquare. pas forcément surprenant mais bien réalisé et pas écrasé par un finish Sherry-Madeire-Porto (biffez les mentions inutiles). Le résultat est caractéristique de la distillerie est c’est déjà pas mal.
7 – Bélize Travellers 11 ans – 66,2%
Enfin dernier rhum de la sélection, direction le Bélize, ce petit état d’Amérique Centrale qui abrite une distillerie bien connue: Travellers. Nous sommes ici face à un rhum de 11 ans, lui aussi brut de fût et montant encore plus haut que le précédent puisqu’il culmine à 66,2%!!
Nez
Le nez est plus frais que celui du Foursquare avec du raisin qui accompagne la coco, mais aussi un côté herbacé. Se joignent à la danse des arômes plus gourmands comme la mélasse, la réglisse, le chocolat au lait et même le café. L’alcool a tendance à brûler le nez si on n’y fait pas attention.
Bouche
La bouche est encore une fois cohérente avec le nez puisqu’on y retrouve de la coco et des fruits, un peu de végétal, d’épices et puis ce duo café/chocolat au lait.
La finale est fruitée avec des pommes compotées et du raisin, mais aussi alternativement marquée par du caramel, les épices et la noix.
On a donc un rhum qui malgré son haut titre alcoolique reste presque accessible. Sans doute qu’avec une légère réduction il aurait été parfaitement équilibré, offrant une alternative aux rons sud-américains.
Conclusion
La conclusion est assez simple: tout le monde a passé une super soirée! L’assemblée était aux anges, Florent a beaucoup partagé et été ravi de notre assemblée et de son attention. Le concours de « la plus belle chemise à la Florent » a été très drôle (encore bravo à Nicolas pour son lot unique) et les absents peuvent avoir des regrets car ce fut une des meilleures soirées que nous ayons fait.
Ce sera la seule masterclass de la saison mais la saison 2019-2020 est en préparation donc qui sait… Si certains producteurs lisent ceci et sont intéressés, qu’ils n’hésitent pas à me contacter!
Prochain épisode le 19 avril pour une soirée sur les flancs de la Montagne Pelée. Ce sera une soirée Depaz!
Bonus: Guadeloupe Père Labat 20 ans – 43,1%
Une soirée comme celle-ci ne serait pas complète sans l’une ou l’autre surprise. Outre le flacon de Barbancourt (Haïti) que Florent nous avait apporté, j’avais également prévu un split du dernier né de la gamme Compagnie des Indes: le Père Labat CS 20 ans. Voilà donc un beau bébé, distillé en 1998 et mis en bouteille en 2018. A peine une centaine de bouteilles ont été remplies et nous voilà avec l’une d’elles entre les mains!
Nez
Au début franchement sur le fumé, il évolue après plus d’une heure (bouteille fraîchement ouverte) vers les fruits. De l’amande, du fruit confit, des raisins secs, de l’abricot et une touche de fruits secs aussi, légèrement sucrés. Le côté fumé fait encore de brèves apparitions, accompagné de cuir. Globalement c’est fruité et rond. Pas de trace de l’alcool. Plus le rhum s’ouvre, plus le profil s’arrondit sur les fruits et le caramel.
Bouche
On retrouve l’amertume, l’amande et les raisins secs du nez. Le fumé est de nouveau là aussi, un peu trop au goût de Cédric Sip (surtout l’arrière bouche). Une bouche qu’on pourrait qualifier de rancio, du pruneau et une certaine rondeur. Il y a aussi une côté fruit à chair jaune avec de l’abricot et de la mangue. Pas d’agression alcoolique du tout, la réduction est nette. La finale fait ressortir un côté herbacé faisant penser Cédric L à de la sauge.
Bonus 2: La surprise de Florent
Ce soir là, Florent Beuchet nous avait aussi apporté une surprise de son cru, un échantillon tout droit issu du chai. Il s’agissait d’un Barbancourt haïtien qui titre à 63%. Malheureusement, de l’avis même du maître, il a besoin d’une réduction car il n’était pas équilibré à la dégustation. Ce fut quand même un beau privilège que de goûter cet échantillon en primeur avec Florent!