Il y a de ça quelques temps, suite à la quinzaine Diamond du Belgium Rhum Club lancée par Jérôme, j’avais eu l’occasion de revenir sur quelques échantillons de ce qui a pu être embouteillé en provenance de ce petit coin de la jungle sud-américaine. Le sujet avait aussi été abordé lors de la 2e saison des Amis des Amis du Rhum.
Si je suis de nouveau là aujourd’hui c’est que quelques samples peu courageux avaient eu l’outrecuidance de se cacher de mon regard lors de cette dernière quinzaine et même s’il n’y étaient pas tous éligibles, c’est en goûtant l’un de ceux-là que l’idée de ces confrontations m’est venue.
Gardons bien en tête qu’actuellement tous les alambics que nous allons mentionner sont réunis en une seule distillerie, la distillerie Diamond. Mais chaque distillerie a existé avec ses typicités et son/ses alambic(s) qui nous sont parvenus à travers les décennies (ou pas pour certains).
Voici donc trois duels fort différents, tant par les alambics que par la typicité des jus proposés.
Port Mourant
La distillerie de Port Mourant a été créée au début des années 1800. L’alambic est un double Pot Still Coffey en bois comme le montre la reproduction ci-dessous.

Pour ce premier Duel nous avons affaire à deux Port Mourant peu typés. Le premier est un 2003 de 14 ans et titrant à 45%. Il a été embouteillé par Hubert Corman et Emmanuel Dron à la suite du décès de Silviano Samaroli. Le second a été embouteillé par Origin‘R, jeune embouteilleur suisse qui a mis quelques belles pépites peu connues sur le marché. C’est un millésime de 2005 vieilli pendant 11 ans et titrant lui aussi à 45 %.
Dans les verres, le premier est d’une belle couleur or tandis que le second n’a quasi pas été marqué par le fût.
Nez
Au nez le Samaroli/Corman nous envoie un doux équilibre entre fin boisé et fruit mûrs. On y trouve aussi du solvant, du camphre et un côté herbacé.
De son côté l’Origin’R est fruité, aucune trace de boisé. On y trouve aussi un peu de mélasse, du camphre et du solvant. Finalement un petit côté végétal fait son apparition.
Bouche
En bouche, le 2003 nous ramène sur le profil que nous avions au nez : un équilibre subtil entre bois et fruits : ananas, mangue, poire et un rien de fruits de rouge. La finale est douce et longue sur les fruits avec cette touche de vanille et ces notes herbacées pour finir.
Le 2005, attaque un peu fort pour un 45 %. Passé ce moment un rien désenchanteur, c’est une explosion de fruits qui s’offre à nous : mangue, ananas, mais aussi fraise et banane. On retrouve enfin en bouche une petite touche de boisé à côté du combo solvant/camphre.
La finale est belle mais un rien courte: sur les fruits, le café et une pointe de solvant.
En conclusion voilà deux beaux rhums à 45 % qui n’ont rien à envier à certains au titre plus élevé. On notera un petit bémol pour l’Origin’R dont l’alcool aurait pu être un rien mieux intégré.
Au final ces deux PM plairont sans doute à ceux qui sont plus branché fruit que bois. Personnellement, je préfère le 2003 pour son côté plus boisé que l’Origin’R, mais ce dernier fut toutefois pour moi une belle surprise.
Uitvlugt
Avant de vous parler des bouteilles qui vont être dégustées, deux mots sur la distillerie Uitvlugt. Elle a été créée entre 1759 et 1776 et les alambics dont disposait la distillerie étaient deux ensembles de deux colonnes Savalle.

Pour cette deuxième confrontation, ce ne sont pas deux mais trois rhums qui vont s’affronter ! Le premier c’est un fût mis en bouteille par Origin‘R. Le jus date de 1999 et a passé 16 ans dans son fût: 5 ans sous climat tropical et le reste en Europe. Il a été embouteillé à 45 %.
Le deuxième a lui passé 25 ans dans son fût. Distillé en 1990 et mis en bouteille en 2016 à 49.7 % par The Whisky Agency.
Enfin le troisième a été distillé en 1998 avant d’aller passer 18 ans dans les chais écossais de Samaroli. Fidèle à sa marque de fabrique il a été embouteillé à 45%.
En termes de couleurs, l’Origin’R a été peu marqué par le fût tandis que les deux autres arborent une belle couleur dorée.
Nez
Le nez du plus jeune, l’Origin’R, est d’abord marqué par le vernis. J’y trouve ensuite du fruit, un fin boisé, une pointe d’amande et un côté flan à la vanille.
Pour le plus vieux, on oscille entre un côté très floral, avec des notes de miel et un peu de solvant et un côté fruits confits, le tout accompagné d’un léger boisé.
Pour le 3e, le Samaroli, qui est juste plus âgé que le premier, son profil est fruité avec de l’abricot, du raisin, de la mangue. J’y retrouve aussi des notes de de solvants, de mélasse et de vanille.
Bouche

En bouche l’Origin’R nous offre un profil fruité avec une pointe d’acidité. Il y aussi un peu de vernis et de réglisse. Après un peu de temps il arbore un profil plus pâtissier. La finale nous apporte une note herbacée avec une légère amertume.
Pour The Whisky Agency, l’attaque est franche (ça pique un peu), on arrive ensuite sur des notes de solvants derrière lesquelles se cachent des fruits ainsi que les marques du fût avec un côté boisé et vanillé. La bouche se termine sur des notes beurrées,une pointe d’agrume et de solvant.
Enfin le Samaroli nous offre une bouche dominée par le fruit avec de petites touches de solvant, de café et des notes boisées – vanillées. La finale est douce, encore sur les fruits avec toujours cette pointe de camphre et d’agrumes.
Voilà donc 3 beaux rhums, chacun dans un registre différent tout en gardant une trame fruitée. Par contre, ne me demandez pas lequel j’ai préféré, je ne pourrai vous répondre tant ils m’ont chacun plu avec leurs spécificités.
Demerara 1990
L’année 1990 a été plutôt prolifique pour les brokers car on retrouve pas mal d’embouteillages de cette année que ce soit chez Samaroli, Rum Nation ou encore Bristol Classics
Pour cette dernière confrontation j’ai mis face-à-face le Rum Nation 1990, 23 ans, et le Samaroli Demerra 1990 – 2015 #18. Je n’ai trouvé aucune mention d’alambic pour ces deux monstres, on va donc partir à l’aveugle.
Pour le Rum Nation, la seule information disponible concerne son finish: il a en effet séjourné en fût de Sherry Olorosso avant d’être mis en bouteille en 2014. Il s’agit d’un assemblage de plusieurs fûts avec une sortie aux environs de 1000 bouteilles.
Pour le Samaroli nous ne trouvons pas grand-chose non plus. On sait que c’est un single cask (N°18) dont les 340 bouteilles ont été extraites du fût en juillet 2015 et qu’il a bien sûr séjourné en Écosse tout du long de sa vie en fût.
La couleur du Rum Nation est fortement marquée par le fût: c’est sombre. Les larmes sont fines et lentes. De son côté le Samaroli est de couleur or.
Nez
Le premier nez est très marqué par le finish: on a du raisin, du pain grillé et un côté fumé. Viennent ensuite des notes de camphre et après aération on retrouve des notes de fruits compotés. Le second est quant à lui plus équilibré: il est d’abord marqué par des notes de solvants, puis un fin boisé et la vanille nous parviennent. Enfin les notes de fruits terminent la danse avec du raisin, de la pêche, de l’ananas et de la banane.
Bouche

Une fois en bouche, le Rum Nation est puissant et marqué encore une fois par le Sherry.
J’y trouve aussi de belles notes d’agrumes, ce pain grillé et la compote de pomme.
La finale se joue sur la réglisse et le camphre ainsi que les fruits avec le raisin. Enfin, il y a une douce amertume comme un zeste d’orange.
Pour le Samaroli, il y a une triple explosion de saveurs lors de la première gorgée : les fruits, le solvant et les notes toastés. C’est waouw ! Des notes de camphre et de citrons viennent ensuite compléter le tableau.
Tout cela se termine sur les fruits exotiques bien mûrs, une pointe de vanille et de pamplemousse.
1990 a sans conteste été une belle année. Le premier est néanmoins fort marqué par son finish qui masque, je trouve, un peu trop le rhum original. Le Samaroli est lui fidèle à la qualité de la marque : complexe, équilibré et fin.
C’est ici que ce termine cette nouvelle escale le long du Demerara. Il me tarde d’avoir un jour accès à des samples des embouteillages « made by Gargano » pour me faire une idée de ce que ces rhums peuvent donner en ayant vieillis uniquement sous les tropiques.
Autre constat que je porte après cette dégustation, c’est qu’il n’est pas toujours nécessaire d’embouteiller un rhum avec un titre alcoolique très élevé pour offrir de la complexité et de la longueur en bouche.
Comme mots de la fin, j’avais envie de marquer la qualité des productions de chez Samaroli qui offre, avec une belle régularité, des rhums fin, équilibrés et gourmands.
To be continued …
Photo de couverture : Skurnik.com