Dégustation du soir, Jamaïque

HJCITP – mot compte triple?

Non non rassurez-vous, il ne sera pas question de jouer au Scrabble aujourd’hui, mais bien de prendre la direction de la Jamaïque avec les deux nouveaux « Extrême » de chez Plantation: j’ai nommé les Long Pond HJC (22ans – 56,2%) et ITP (22ans – 54,8%).

D’un côté on a un rhum à l’étiquette bleue et distillé en 1996 sur l’alambic John Dore de la distillerie, de mark ITP (386g esters/hlap), vieilli 21 ans en ex-fût de Bourbon sur place avant de passer 1 an en ex-fût de Cognac dans les installations de Ferrand. Il a été embouteillé à 54,8%.

De l’autre il s’agit de son frère: un rhum de 1996 aussi, à l’étiquette rouge et issu du même alambic, mais de mark HJC (345g esters/hlap) et ayant subi le même type de vieillissement.

Pour l’explication, les deux rhums ont un « mark » différent malgré un taux d’esters quasi identique car le « mark » est apposé après dosage en sortie d’alambic. Lors de ce dosage, celui marqué « ITP » était compris dans la fourchette 90-120g/hl AA, alors que celui marqué « HJC » était dans la fourchette 120-150 g/hl AA. Mais le processus d’esterfication ne s’arrête pas après distillation, au contraire il continue durant le vieillissement et s’enrichit au contact du bois. Le résultat du dosage après vieillissement explique donc les taux que je vous ai donné plus haut 😉 Pour quelques informations plus « scientifiques », direction le bas de cet article.

Bref, ça promet donc je ne traîne pas plus et je passe à la dégustation!

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Crédit photo: Dimitri AlaRecherche DesSaveurs

Nez

Commençons par l’ITP: immédiatement c’est fruité, un beau bouquet de fruits exotiques, gourmands et légèrement mûrs, avec une pointe de foin. Le nez est frais et aussi légèrement pâtissier en arrière-plan, sur la biscotte, la brioche. À l’évolution je retrouve aussi de la pêche et une touche que j’associe au sirop d’érable, mais qui doit être une sorte de caramel influencé par les fruits. Le nez est peu alcooleux, c’est remarquablement bien intégré.

Passons à l’HJC: le profil est beaucoup plus classique de la Jamaïque avec du solvant, de la vanille et de l’ananas. Il y a des épices aussi et un peu plus d’alcool présent que dans le nez de l’ITP. C’est relativement gourmand tout de même. Après une ouverture suffisante il évolue bien et je retrouve un peu de fruits rouges, de la cerise notamment. Plus il évolue et plus le nez s’arrondi. Au bout d’une heure dans le verre les solvants ont quasiment disparu laissant la place aux fruits qui sont maintenant nettement cuits.

Bouche

On commence de nouveau avec l’ITP avec une bouche proche du nez, c’est gourmand, une véritable explosion de fruits. Une légère amertume vient balancer les fruits mûrs, la mangue notamment, du raisin aussi. Il y a aussi des épices et du café qui pointent le bout de leur nez en même temps que le boisé dans l’arrière-bouche. C’est vraiment trés agréable à boire.

Direction ensuite l’HJC qui comme au nez est directement bien plus « Jamaïcain », c’est dopé aux aux fruits mûrs et aux solvants. Les fruits sont plus ronds, un peu cuits ou confits. J’y retrouve aussi une touche grillée/fumée, suffisamment légère pour ne pas être omniprésente. C’est gourmand aussi mais assez différent de l’ITP.

Conclusion

C’est fou comme deux rhums, issus du même alambic, la même année avec le même vieillissement peuvent être si différents!

Pour ceux qui disent que tous les Jamaïcains se ressemblent, je les encourage vivement à comparer ces deux rhums en face à face. C’est très instructif.

En ce qui me concerne ça ne m’aide pas: impossible de les départager! Du coup je vais devoir tenter de me les offrir tous les deux 😀

 

Complément: l’esterfication

En chimie organique, les molécules sont classées par famille en fonction de leur squelette. On distingue ainsi plusieurs grandes familles dont trois qui nous concernent aujourd’hui: les alcools, les acides carboxyliques et le résultat de la réaction de ces deux là: les esters.

Les esters sont des composés dits « aromatiques ». Ce ne sont pas les seuls à être nommés de cette façon et toutes les molécules de cette catégorie sont responsables, à une échelle plus ou moins perceptible, d’un arôme. Attention qu’un ester n’est pas égal à un arôme: certains esters peuvent conduire au même arôme, quand certains arômes nécessitent plusieurs esters combinés pour apparaître. A noter également que certains arômes ne nous sont perceptibles que parcequ’un autre arôme est présent (A tout seul n’est pas perceptible, mais si A et B sont présents alors on détectera A et B).

Pour en revenir à l’esterfication, c’est une réaction par laquelle un acide carboxylique et un alcool se combinent pour former un ester (et une molécule d’eau). Les acides en question (tout comme les alcools) sont principalement formés durant la phase de fermentation, lorsque les microorganismes consomment le sucre. Donc sans fermentation, pas d’esterfication. Une fois que ces deux molécules coexistent dans le « jus », l’esterification commence. Elle aura donc déjà lieu durant la fermentation mais continuera durant la distillation et après, tout au long de la vie du rhum, avec pour seule limite le point d’équilibre, concentration d’esters au-delà duquel il sera impossible d’aller naturellement (mais je pense jamais atteint dans la fabrication du rhum). La variété des résultats viendra de l’acide et de l’alcool impliqués dans la réaction: un acide A et un alcool A donneront un ester différent de celui formé par un acide B avec le même alcool A. De la complexité des molécules impliquées viendra la complexité aromatique du mélange. On comprend dès lors l’importance d’une fermentation longue dans la fabrication d’un rhum « high ester »: plus les levures ont le temps de travailler, et plus elles vont produire des molécules lourdes et variées.

Le corrolaire de tout ça, c’est aussi que chaque réaction d’esterification consomme un alcool et rejette de l’eau… entraînant du même coup un impact sur le titre alcoolique du rhum, mais ça, c’est une autre histoire 😉

 

2 réflexions au sujet de “HJCITP – mot compte triple?”

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